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jamais entendu parler de Bernays ?
jamais entendu parler de Bernays ?
Beaucoup de gens n'ont jamais entendu parler de Bernays, et encore
moins qu'il a vécu plus de cent ans (il est mort au milieu des années
90)et donc a eu une influence énorme sur ce dernier siecle. Il a eu
énormément d'influence dans beaucoup de domaines, et à eu recours à
l'aide de la psychologie afin de l'utiliser contre la majorité de la
population. C'etait par ailleurs le neveu de Freud.
"C'est qu'Edward L. Bernays est généralement reconnu comme l'un des
principaux créateurs (sinon le principal) de l'industrie des relations
publiques et donc comme le père de ce que les Américains nomment le
spin, c'est-à-dire la manipulation – des nouvelles, des médias, de
l'opinion – ainsi que la pratique systématique et à large échelle de
l'interprétation et de la présentation partisanes
On pourra prendre une mesure de l'influence des idées de Bernays en
se rappelant la percutante remarque d'Alex Carey, suggérant que « trois
phénomènes d'une considérable importance politique ont défini le XXe
siècle ». Le premier, disait-il, est « la progression de la démocratie
», notamment par l'extension du droit de vote et le développement du
syndicalisme ; le deuxième est « l'augmentation du pouvoir des
entreprises » ; et le troisième est « le déploiement massif de la
propagande par les entreprises dans le but de maintenir leur pouvoir à
l'abri de la démocratienote ». L'importance de Bernays tient
précisément au fait qu'il a, de manière prépondérante et peut-être plus
que quiconque, contribué à l'articulation et au déploiement de ce
troisième phénomène.
Après avoir exposé les fondements, en particulier politiques et
psychosociaux, de la pratique des relations publiques qu'il préconise , Bernays entreprend de donner des exemples concrets
de tâches qu'elles peuvent accomplir ou ont déjà accomplies. Il insiste
tout d'abord, comme on pouvait s'y attendre, sur la contribution que
les relations publiques peuvent apporter aux institutions économiques
et politiques ; mais il évoque aussi ensuite, avec
la très nette intuition de l'extraordinaire étendue des domaines
d'intervention qui s'ouvrent à la nouvelle forme d'« ingénierie sociale
» qu'il met en avant, les services que les relations publiques peuvent
rendre à la cause des femmes, aux œuvres sociales, à l'éducation, ainsi
qu'à l'art et à la science .
Lorsque le gouvernement des États-Unis décide d'entrer en guerre,
le 6 avril 1917, la population est en effet largement opposée à cette
décision : et c'est avec le mandat explicite de la faire changer d'avis
qu'est créée par le président Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), le 13
avril 1917, la Commission on Public Information (CPI) – souvent appelée
« Commission Creel », du nom du journaliste qui l'a dirigée, George
Creel (1876-1953).
Cette commission, qui accueille une foule de journalistes,
d'intellectuels et de publicistes, sera un véritable laboratoire de la
propagande moderne, ayant recours à tous les moyens alors connus de
diffusion d'idées (presse, brochures, films, posters, caricatures
notamment) et en inventant d'autres. Elle était composée d'une Section
étrangère (Foreign Section), qui possédait des bureaux dans plus de
trente pays, et d'une Section intérieure (Domestic Section) : elles
émettront des milliers de communiqués de presse, feront paraître des
millions de posters (le plus célèbre étant sans doute celui où on lit :
I want you for US Army, clamé par Uncle Sam) et éditeront un nombre
incalculable de tracts, d'images et de documents sonores.
Mais on peut soutenir que le succès le plus retentissant de Bernays
sera d'avoir amené les femmes américaines à fumer. Cet épisode, si
éclairant sur sa manière de penser et de travailler, mérite d'être
raconté en détail.
Nous sommes toujours en 1929 et, cette année-là, George Washington
Hill (1884-1946), président de l'American Tobacco Co., décide de
s'attaquer au tabou qui interdit à une femme de fumer en public, un
tabou qui, théoriquement, faisait perdre à sa compagnie la moitié de
ses profits. Hill embauche Bernays, qui, de son côté, consulte aussitôt
le psychanalyste Abraham Arden Brill (1874-1948), une des premières
personnes à exercer cette profession aux États-Unis. Brill explique à
Bernays que la cigarette est un symbole phallique représentant le
pouvoir sexuel du mâle : s'il était possible de lier la cigarette à une
forme de contestation de ce pouvoir, assure Brill, alors les femmes, en
possession de leurs propres pénis, fumeraient.
La ville de New York tient chaque année, à Pâques, une célèbre et
très courue parade. Lors de celle de 1929, un groupe de jeunes femmes
avaient caché des cigarettes sous leurs vêtements et, à un signal
donné, elles les sortirent et les allumèrent devant des journalistes et
des photographes qui avaient été prévenus que des suffragettes allaient
faire un coup d'éclat. Dans les jours qui suivirent, l'événement était
dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. Les jeunes femmes
expliquèrent que ce qu'elles allumaient ainsi, c'était des « flambeaux
de la liberté » (torches of freedom). On devine sans mal qui avait
donné le signal de cet allumage collectif de cigarettes et qui avait
inventé ce slogan ; comme on devine aussi qu'il s'était agi à chaque
fois de la même personne et que c'est encore elle qui avait alerté les
médias.
Le symbolisme ainsi créé rendait hautement probable que toute
personne adhérant à la cause des suffragettes serait également, dans la
controverse qui ne manquerait pas de s'ensuivre sur la question du
droit des femmes de fumer en public, du côté de ceux et de celles qui
le défendaient – cette position étant justement celle que les
cigarettiers souhaitaient voir se répandre. Fumer étant devenu
socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes à
cette nouvelle clientèle allaient exploser.
La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des
habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société
démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible
forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays.
Nous sommes pour une large part gouvernés par des hommes dont nous
ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous
soufflent nos idées. C'est là une conséquence logique de l'organisation
de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand
nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein
d'une société au fonctionnement bien huilé.
Le plus souvent, nos chefs invisibles ne connaissent pas l'identité
des autres membres du cabinet très fermé auquel ils appartiennent.
Ils nous gouvernent en vertu de leur autorité naturelle, de leur
capacité à formuler les idées dont nous avons besoin, de la position
qu'ils occupent dans la structure sociale. Peu importe comment nous
réagissons individuellement à cette situation puisque dans la vie
quotidienne, que l'on pense à la politique ou aux affaires, à notre
comportement social ou à nos valeurs morales, de fait nous sommes
dominés par ce nombre relativement restreint de gens – une infime
fraction des cent vingt millions d'habitants du pays – en mesure de
comprendre les processus mentaux et les modèles sociaux des masses. Ce
sont eux qui tirent les ficelles : ils contrôlent l'opinion publique,
exploitent les vieilles forces sociales existantes, inventent d'autres
façons de relier le monde et de le guider.
Théoriquement, chacun se fait son opinion sur les questions
publiques et sur celles qui concernent la vie privée. Dans la pratique,
si tous les citoyens devaient étudier par eux-mêmes l'ensemble des
informations abstraites d'ordre économique, politique et moral en jeu
dans le moindre sujet, ils se rendraient vite compte qu'il leur est
impossible d'arriver à quelque conclusion que ce soit. Nous avons donc
volontairement accepté de laisser à un gouvernement invisible le soin
de passer les informations au crible pour mettre en lumière le problème
principal, afin de ramener le choix à des proportions réalistes. Nous
acceptons que nos dirigeants et les organes de presse dont ils se
servent pour toucher le grand public nous désignent les questions dites
d'intérêt général ; nous acceptons qu'un guide moral, un pasteur, par
exemple, ou un essayiste ou simplement une opinion répandue nous
prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart
du temps, nous nous conformons.
Théoriquement, chacun achète au meilleur coût ce que le marché a de
mieux à lui offrir. Dans la pratique, si avant d'acheter tout le monde
comparait les prix et étudiait la composition chimique des dizaines de
savons, de tissus ou de pains industriels proposés dans le commerce, la
vie économique serait complètement paralysée. Pour éviter que la
confusion ne s'installe, la société consent à ce que son choix se
réduise aux idées et aux objets portés à son attention par la
propagande de toute sorte. Un effort immense s'exerce donc en
permanence pour capter les esprits en faveur d'une politique, d'un
produit ou d'une idée.
http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberpl...
moins qu'il a vécu plus de cent ans (il est mort au milieu des années
90)et donc a eu une influence énorme sur ce dernier siecle. Il a eu
énormément d'influence dans beaucoup de domaines, et à eu recours à
l'aide de la psychologie afin de l'utiliser contre la majorité de la
population. C'etait par ailleurs le neveu de Freud.
"C'est qu'Edward L. Bernays est généralement reconnu comme l'un des
principaux créateurs (sinon le principal) de l'industrie des relations
publiques et donc comme le père de ce que les Américains nomment le
spin, c'est-à-dire la manipulation – des nouvelles, des médias, de
l'opinion – ainsi que la pratique systématique et à large échelle de
l'interprétation et de la présentation partisanes
On pourra prendre une mesure de l'influence des idées de Bernays en
se rappelant la percutante remarque d'Alex Carey, suggérant que « trois
phénomènes d'une considérable importance politique ont défini le XXe
siècle ». Le premier, disait-il, est « la progression de la démocratie
», notamment par l'extension du droit de vote et le développement du
syndicalisme ; le deuxième est « l'augmentation du pouvoir des
entreprises » ; et le troisième est « le déploiement massif de la
propagande par les entreprises dans le but de maintenir leur pouvoir à
l'abri de la démocratienote ». L'importance de Bernays tient
précisément au fait qu'il a, de manière prépondérante et peut-être plus
que quiconque, contribué à l'articulation et au déploiement de ce
troisième phénomène.
Après avoir exposé les fondements, en particulier politiques et
psychosociaux, de la pratique des relations publiques qu'il préconise , Bernays entreprend de donner des exemples concrets
de tâches qu'elles peuvent accomplir ou ont déjà accomplies. Il insiste
tout d'abord, comme on pouvait s'y attendre, sur la contribution que
les relations publiques peuvent apporter aux institutions économiques
et politiques ; mais il évoque aussi ensuite, avec
la très nette intuition de l'extraordinaire étendue des domaines
d'intervention qui s'ouvrent à la nouvelle forme d'« ingénierie sociale
» qu'il met en avant, les services que les relations publiques peuvent
rendre à la cause des femmes, aux œuvres sociales, à l'éducation, ainsi
qu'à l'art et à la science .
Lorsque le gouvernement des États-Unis décide d'entrer en guerre,
le 6 avril 1917, la population est en effet largement opposée à cette
décision : et c'est avec le mandat explicite de la faire changer d'avis
qu'est créée par le président Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), le 13
avril 1917, la Commission on Public Information (CPI) – souvent appelée
« Commission Creel », du nom du journaliste qui l'a dirigée, George
Creel (1876-1953).
Cette commission, qui accueille une foule de journalistes,
d'intellectuels et de publicistes, sera un véritable laboratoire de la
propagande moderne, ayant recours à tous les moyens alors connus de
diffusion d'idées (presse, brochures, films, posters, caricatures
notamment) et en inventant d'autres. Elle était composée d'une Section
étrangère (Foreign Section), qui possédait des bureaux dans plus de
trente pays, et d'une Section intérieure (Domestic Section) : elles
émettront des milliers de communiqués de presse, feront paraître des
millions de posters (le plus célèbre étant sans doute celui où on lit :
I want you for US Army, clamé par Uncle Sam) et éditeront un nombre
incalculable de tracts, d'images et de documents sonores.
Mais on peut soutenir que le succès le plus retentissant de Bernays
sera d'avoir amené les femmes américaines à fumer. Cet épisode, si
éclairant sur sa manière de penser et de travailler, mérite d'être
raconté en détail.
Nous sommes toujours en 1929 et, cette année-là, George Washington
Hill (1884-1946), président de l'American Tobacco Co., décide de
s'attaquer au tabou qui interdit à une femme de fumer en public, un
tabou qui, théoriquement, faisait perdre à sa compagnie la moitié de
ses profits. Hill embauche Bernays, qui, de son côté, consulte aussitôt
le psychanalyste Abraham Arden Brill (1874-1948), une des premières
personnes à exercer cette profession aux États-Unis. Brill explique à
Bernays que la cigarette est un symbole phallique représentant le
pouvoir sexuel du mâle : s'il était possible de lier la cigarette à une
forme de contestation de ce pouvoir, assure Brill, alors les femmes, en
possession de leurs propres pénis, fumeraient.
La ville de New York tient chaque année, à Pâques, une célèbre et
très courue parade. Lors de celle de 1929, un groupe de jeunes femmes
avaient caché des cigarettes sous leurs vêtements et, à un signal
donné, elles les sortirent et les allumèrent devant des journalistes et
des photographes qui avaient été prévenus que des suffragettes allaient
faire un coup d'éclat. Dans les jours qui suivirent, l'événement était
dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. Les jeunes femmes
expliquèrent que ce qu'elles allumaient ainsi, c'était des « flambeaux
de la liberté » (torches of freedom). On devine sans mal qui avait
donné le signal de cet allumage collectif de cigarettes et qui avait
inventé ce slogan ; comme on devine aussi qu'il s'était agi à chaque
fois de la même personne et que c'est encore elle qui avait alerté les
médias.
Le symbolisme ainsi créé rendait hautement probable que toute
personne adhérant à la cause des suffragettes serait également, dans la
controverse qui ne manquerait pas de s'ensuivre sur la question du
droit des femmes de fumer en public, du côté de ceux et de celles qui
le défendaient – cette position étant justement celle que les
cigarettiers souhaitaient voir se répandre. Fumer étant devenu
socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes à
cette nouvelle clientèle allaient exploser.
La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des
habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société
démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible
forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays.
Nous sommes pour une large part gouvernés par des hommes dont nous
ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous
soufflent nos idées. C'est là une conséquence logique de l'organisation
de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand
nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein
d'une société au fonctionnement bien huilé.
Le plus souvent, nos chefs invisibles ne connaissent pas l'identité
des autres membres du cabinet très fermé auquel ils appartiennent.
Ils nous gouvernent en vertu de leur autorité naturelle, de leur
capacité à formuler les idées dont nous avons besoin, de la position
qu'ils occupent dans la structure sociale. Peu importe comment nous
réagissons individuellement à cette situation puisque dans la vie
quotidienne, que l'on pense à la politique ou aux affaires, à notre
comportement social ou à nos valeurs morales, de fait nous sommes
dominés par ce nombre relativement restreint de gens – une infime
fraction des cent vingt millions d'habitants du pays – en mesure de
comprendre les processus mentaux et les modèles sociaux des masses. Ce
sont eux qui tirent les ficelles : ils contrôlent l'opinion publique,
exploitent les vieilles forces sociales existantes, inventent d'autres
façons de relier le monde et de le guider.
Théoriquement, chacun se fait son opinion sur les questions
publiques et sur celles qui concernent la vie privée. Dans la pratique,
si tous les citoyens devaient étudier par eux-mêmes l'ensemble des
informations abstraites d'ordre économique, politique et moral en jeu
dans le moindre sujet, ils se rendraient vite compte qu'il leur est
impossible d'arriver à quelque conclusion que ce soit. Nous avons donc
volontairement accepté de laisser à un gouvernement invisible le soin
de passer les informations au crible pour mettre en lumière le problème
principal, afin de ramener le choix à des proportions réalistes. Nous
acceptons que nos dirigeants et les organes de presse dont ils se
servent pour toucher le grand public nous désignent les questions dites
d'intérêt général ; nous acceptons qu'un guide moral, un pasteur, par
exemple, ou un essayiste ou simplement une opinion répandue nous
prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart
du temps, nous nous conformons.
Théoriquement, chacun achète au meilleur coût ce que le marché a de
mieux à lui offrir. Dans la pratique, si avant d'acheter tout le monde
comparait les prix et étudiait la composition chimique des dizaines de
savons, de tissus ou de pains industriels proposés dans le commerce, la
vie économique serait complètement paralysée. Pour éviter que la
confusion ne s'installe, la société consent à ce que son choix se
réduise aux idées et aux objets portés à son attention par la
propagande de toute sorte. Un effort immense s'exerce donc en
permanence pour capter les esprits en faveur d'une politique, d'un
produit ou d'une idée.
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